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Avis important du Conseil d’Etat sur les pouvoirs du juge en matière d’autorisation environnementale et ses conséquences sur le moyen des capacités techniques et financières

Dans l’affaire dite des « 1000 vaches », le Conseil d’État a répondu le 22 mars 2018 à la demande d’avis formulée par la Cour administrative d’appel de Douai dans un arrêt en date du 16 novembre 2017, portant sur les modalités d’application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.

Par cette réponse, le Conseil d’Etat confirme que les pouvoirs de régularisation du juge sont étendus et que le fameux moyen tiré des conséquences techniques et financières n’entraine pas automatiquement l’illégalité de l’autorisation, qu’il est régularisable et que cette régularisation ne passe pas par une reprise de l’intégralité de la procédure d’instruction de la demande d’autorisation.

Contexte : l’insuffisante démonstration des capacités techniques et financières d’un exploitant ICPE

Le 1er février 2013, le Préfet de la Somme avait délivré une autorisation ICPE portant sur l’exploitation d’une installation d’élevage de 500 bovins, comprenant par ailleurs un méthaniseur ainsi qu’une unité de cogénération.

Cette autorisation a fait l’objet d’un recours qui a été rejeté en première instance puis est monté en appel.

Par un arrêt du 16 novembre 2017, la Cour a jugé que la présentation des capacités techniques et financières de la société exploitante était insuffisante, et que ce vice avait eu pour effet de nuire à l’information du public. Après examen de l’ensemble des moyens soulevés, la Cour a relevé que seul ce moyen était de nature à entacher d’illégalité l’arrêté litigieux.

Il revenait alors au juge d’appel de statuer sur les conséquences de cette illégalité, et notamment sur la demande formulée, à titre subsidiaire, par l’exploitant, d’appliquer l’article L.181-18 du code de l’environnement, afin de surseoir à statuer dans l’attente de la régularisation du vice.

La Cour a alors décidé de poser quatre questions au Conseil d’Etat quant à l’interprétation à retenir de ces dispositions.

La réponse du Conseil d’Etat

L’avis rendu le 22 mars 2018 par le Conseil d’Etat est très important en ce qu’il intervient rapidement après l’entrée en vigueur de la réforme de l’autorisation environnementale et répond à des questions qui se posent dans de nombreux contentieux, notamment éoliens, et il a également une approche pédagogique puisqu’il s’est écarté de l’ordre des questions posées par le juge d’appel dans un souci de clarté.

1. Le Conseil d’État considère tout d’abord que le juge peut décider de surseoir à statuer lorsque le vice retenu n’affecte qu’une phase de l’instruction ou qu’une partie divisible de l’autorisation et que ce vice peut être régularisé. Une fois le vice régularisé par l’intervention d’une décision complémentaire, le juge rejettera le recours.

2. Le Conseil d’Etat précise ensuite que le nouvel article L. 181-18 du code de l’environnement rappelle la règle générale selon laquelle le juge peut limiter l’annulation à une partie divisible de l’autorisation attaquée lorsque l’illégalité n’affecte qu’une partie de celle-ci. Appliquée à l’autorisation environnementale, cette annulation partielle peut conduire à l’annulation d’une des autorisations regroupées dans l’autorisation environnementale (par exemple, la partie relative à la dérogation « espèces protégées »), soit à des éléments de ces autorisations eux-mêmes considérés comme divisibles (une partie du projet). La délivrance d’une décision complémentaire sur cette partie annulée permettra de régulariser la situation.

L’apport du nouvel article L. 181-18 consiste surtout dans la possibilité pour le juge de limiter l’annulation à une des phases de l’instruction (phase d’examen, phase d’enquête publique, phase de décision) lorsque le vice ne concerne qu’une de ces phases. Dans une telle hypothèse et si le juge considère qu’il ne peut pas surseoir à statuer, il devra certes annuler l’autorisation mais également préciser expressément quelle phase est viciée et doit être reprise pour permettre la délivrance d’une nouvelle décision.

3. Le Conseil d’État précise que le pouvoir de suspension de l’intégralité de l’autorisation environnementale ne peut être mis en œuvre que dans les hypothèses où le juge fait usage de ses pouvoirs de sursis à statuer ou d’annulation partielle.

Le Conseil d’État rappelle également qu’en cas d’annulation totale ou partielle d’une autorisation environnementale, il peut toujours autoriser à titre provisoire la poursuite de l’exploitation en attendant que soit prise une nouvelle décision par l’autorité administrative (CE 15 mai 2013, ARF, n°353010).

Ces pouvoirs de suspension ou d’autorisation provisoire doivent être exercés en prenant en compte la nature et la portée de l’illégalité en cause, des considérations économiques ou sociales, tout motif d’intérêt général ou tous intérêts publics et privés pouvant justifier la suspension ou la poursuite de l’activité. En d’autres termes, le juge doit procéder à la méthode du bilan pour apprécier l’opportunité de suspendre ou d’autoriser provisoirement l’activité.

4. La partie la plus importante de cet avis porte sur les modalités de régularisation de la décision attaquée.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat précise la date à prendre en compte pour déterminer les règles applicables pour régulariser la situation :

 – En présence d’un vice de forme ou de procédure conduisant à un sursis à statuer, l’administration doit appliquer les règles en vigueur le jour où l’autorisation initiale a été délivrée.

 – En présence d’un vice de fond conduisant à un sursis à statuer, l’administration appliquera les règles en vigueur le jour où elle prend la décision complémentaire.

 – En cas d’annulation de l’autorisation et quelle que soit la nature du vice retenu, l’administration appliquera les règles en vigueur le jour où elle prend sa nouvelle décision.

Ensuite, le Conseil d’Etat applique ces règles au moyen tiré de l’insuffisante justification des capacités techniques et financières dans le dossier de demande d’autorisation (ancien article R. 512-3 du code de l’environnement) :

– le Conseil d’État souligne qu’une telle insuffisance est de nature à entrainer un défaut d’information du public mais que le juge doit apprécier, au regard des circonstances propres à chaque espèce, si ce manque d’information a entaché d’illégalité l’autorisation. En d’autres termes, l’insuffisante présentation des capacités techniques et financières n’affecte pas automatiquement la légalité de l’autorisation contrairement à ce que plusieurs juridictions ont décidé.

 – dès lors que ce moyen est un vice de procédure, les nouvelles règles applicables à la justification des capacités techniques et financières et issues de la réforme de l’autorisation environnementale (article D. 181-15-2 du code de l’environnement), qui prévoient que cette justification peut intervenir jusqu’à la mise en service de l’installation, ne dispensent pas le pétitionnaire de régulariser sa situation si les juges du fond ont estimé que son dossier de demande d’autorisation était insuffisant au regard des anciennes dispositions et que le défaut d’information du public en résultant justifiait l’annulation de l’autorisation.

 – cette régularisation n’impliquera toutefois pas, et c’est là l’intérêt de cet avis du Conseil d’Etat, de reprendre l’ensemble de l’enquête publique. Le juge pourra fixer d’autres modalités, plus simples, permettant l’information suffisante du public.

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