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Constructions irrégulières : l’action civile en démolition engagée par une commune ou un EPCI est constitutionnelle

L’action civile en démolition d’une construction irrégulière, introduite par une autorité compétente en matière d’urbanisme dans un délai de dix ans à compter de l’achèvement des travaux, porte-t-elle une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée ?

Non, sauf si elle est mise en œuvre alors que la mise en conformité de ladite construction peut être ordonnée. (C. Constit., 31 juillet 2020, n°2020-853 QPC)

 

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A la suite du renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’Etat (CE, 29 mai 2020, n°436834), le Conseil constitutionnel a été saisi de l’examen de la conformité des dispositions de l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme au droit de propriété consacré par les articles 2 et 17 la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et a récemment publié une déclaration de constitutionnalité assortie d’une importante réserve d’interprétation (C. Constit., 31 juillet 2020, n°2020-853 QPC).

 

Cette décision résulte d’une analyse en deux temps.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel considère que la démolition telle que prévue par les dispositions susvisées ne bénéficie pas de la protection contre la privation de propriété prévue par l’article 17 de la DDHC, mais qu’elle doit être analysée à l’aune de la protection contre les atteintes portées à l’exercice de cette propriété au sens de l’article 2 de la DDHC.

En second lieu, il retient que l’action civile en démolition (i) est justifiée par un intérêt général, en l’occurrence le respect des règles d’urbanisme (C. constit. 7 décembre 2000, n°2000-436 DC) et (ii) est proportionnée à l’objectif poursuivi, au regard des garanties prévues par les textes et à condition qu’une régularisation de la construction ne soit pas envisageable.

Cette précision présente un intérêt pratique majeur : elle neutralise le risque de démolition d’une construction irrégulière si une mesure moins attentatoire (ie : la délivrance d’un permis de construire modificatif) permet de remédier à la situation illicite.

 

Cette décision offre également l’occasion de quelques rappels sur cette action encadrée par l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme, que les dernières évolutions jurisprudentielles tendent à rendre plus effective. 

 

Compétence. Cette action ressort de la compétence du seul juge judiciaire (CE, 29 juin 1983, Maignan, n°35518, publié au recueil) et, en particulier, du juge civil. Elle relève d’ailleurs d’un fondement spécial et autonome (Civ. 3ème, 16 mai 2019, n°17-31.757), et non du droit commun, et peut être introduite indépendamment de toutes poursuites pénales.

 

Bénéficiaires. Cette action ne peut être engagée que par une catégorie limitée de demandeurs, à savoir les communes et les établissements publics de coopération intercommunal compétents en matière d’urbanisme.

Elle peut, par exception, être exercée par tout contribuable, si le juge administratif l’y autorise et si la commune, préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé de l’exercer (art. L. 2132-5 du code général des collectivités territoriales et CE, 18 décembre 2017, n°410192) : il faut alors que l'action ait un intérêt matériel pour la commune et une chance de succès (CE, 9 novembre 2007, n°296743).

Elle peut enfin être introduite par le préfet dans un cas particulier relevant du code de l’environnement (cf. infra).

 

Champ d’application. Cette action vise les constructions irrégulières au sens de celles édifiées sans autorisation d’urbanisme ou en méconnaissance des prescriptions d’une telle autorisation si elles y sont soumises, ou en violation des règles de fond applicables si elles en sont dispensées.

Pour rappel, elle était initialement réservée aux constructions situées dans des secteurs soumis à des risques naturels prévisibles et n’incluait pas les ouvrages dispensés de formalités au titre du code de l'urbanisme (cf. art. 65 de la loi n°2003-699 et art. 34 de la loi n°2010-788).

En revanche, elle ne devrait pas pouvoir être engagée à l’encontre des constructions édifiées conformément à une autorisation d’urbanisme mais en violation du document d’urbanisme applicable.

En outre, cette action est applicable aux constructions et aménagements dans une zone interdite par un plan de prévention des risques naturels prévisibles approuvés ou en méconnaissance des conditions prescrites par ce plan (art. L. 562-5 du code de l’environnement).

 

Conditions de recevabilité. Cette action requiert uniquement de démontrer l’existence d’une construction illicite et non d’un préjudice personnel et direct de la commune ou de l’EPCI du fait de cette construction (Cass. 3ème civ, 16 mai 2019, n°17-31.757, publié au bulletin ; v. par comparaison, Cass. 3ème civ, 25 mars 1998, n° 96-12.410).

C’est là une différence majeure et notable par rapport à l’action civile spéciale des tiers (art. L. 480-13 du code de l’urbanisme et Cass. 3ème civ, 11 juillet 2019, n°18-18.803) ou de toute action en responsabilité civile, qui accroît d’autant ses chances (ou risques) de succès.

 

Objet et portée. Cette action a pour objet d’obtenir la mise en conformité ou la démolition d’une construction irrégulière par le bénéficiaire des travaux.

A cet égard, il ressort de récentes décisions que le juge judiciaire procède à un contrôle de proportionnalité spécifique entre le respect des règles régissant l’occupation des sols et le respect de la vie privée et du domicile (cf. par ex. Cass. 3ème civ. 16 janvier 2020, n° 19-10.375).

Ainsi, il a pu retenir que la démolition d’une construction sans autorisation en zone inondable soumise à un aléa fort était justifiée au regard du besoin social impérieux de préserver la sécurité des personnes exposées à un risque naturel d’inondation (Cass. 3ème civ. 16 janvier 2020, n° 19-13.645), ou que la démolition d’une construction sans autorisation dans un site naturel zone Natura 2000 soumis à un aléa très fort de glissement de terrain devait être accueillie alors qu’il n’était pas précisé en quoi elle portait atteinte au droit au respect des biens (Cass. 3ème civ, 13 février 2020, n°19-16.299).

La décision susvisée du Conseil constitutionnel (C. Constit., 31 juillet 2020, n°2020-853 QPC) devrait accompagner cette évolution en exigeant du juge qu’il livre une analyse concrète et approfondie de la possibilité de mettre en conformité la construction litigieuse, et d’appliquer cette solution (en lieu et place d'une démolition) dès lors qu’elle est identifiée et acceptée par le bénéficiaire des travaux.

Cette action peut aussi être assortie d’une astreinte (v. par ex. Cass. 3ème civ, 7 mars 2019, n° 17-31.177, Cass. 3e civ., 16 mai 2019, n° 17-31.757), qui devrait être régie par les règles du code des procédures civiles d’exécution et non par celles du code de l’urbanisme, de sorte qu’elle ne serait pas limitée par le plafond journalier de 500 euros (v. par rapprochement Cass, 3ème civ, 19 septembre 2019, n° 18-16.658, publié au bulletin, et art. L. 480-7 du code de l’urbanisme).

 

Délai. Cette action se prescrit par dix ans à compter de l’achèvement des travaux. Il s’agit d’une durée particulièrement longue en comparaison de l’action civile spéciale des tiers, qui se prescrit par deux ans à compter de la décision judiciaire définitive annulant le permis de construire (art. L. 480-13 du code de l’urbanisme), voire de l’action pénale (art. L. 480-4 du code de l’urbanisme) qui se prescrit désormais par six ans (art. 8 du code de procédure pénale) à compter de l’achèvement des travaux (v. en ce sens, Crim, 18 mai 1994, n° 93-84.557 et Crim. 27 mai 2014, n°13-80.574).

 

Au regard de l’ensemble de ces éléments, l’action prévue par l’article L. 480-14 du code de l’urbanisme s’affirme comme un dispositif véritablement dissuasif et efficace, auquel les autorités publiques peuvent recourir avec une souplesse relative afin d’obtenir la cessation d’une situation illicite au regard des règles d’urbanisme : le risque de démolition d'une construction irrégulière, même maîtrisé au pénal, peut donc continuer de peser au civil.

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