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Dérogation espèces protégées: le Conseil d’Etat apporte des précisions sur l’appréciation de la raison impérative d’intérêt public majeur

Par une décision du 3 juin 2020 (n°425395), le Conseil d’État précise sa jurisprudence relative à l’appréciation de la légalité des dérogations permettant à un projet d’aménagement ou de construction de porter atteinte à la conservation d’espèces protégées (« dérogation espèce protégée »).

 

La police de protection des espèces et habitats menacés, instituée par l’article L. 411-1 du code de l’environnement, prohibe la destruction des espèces protégées et de leurs habitats et, plus généralement, toute action susceptible de perturber le cycle de vie et la reproduction de ces espèces. Toutefois, l’article L. 411-2 du même code autorise les préfets à accorder des dérogations pour certains projets. Celles-ci ne peuvent être accordées qu’en raison de considérations relatives à la préservation de l’environnement, à la sécurité ou à la santé publique ou à défaut « pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ».

 

Par un arrêté du 3 février 2015, la préfète des Pyrénées-Orientales a accordé à la société La Provençale une dérogation au titre de l’article L. 411-2 dans le cadre de l’exploitation d’une carrière de marbre calcaires blancs.  A la suite de recours formés par une association environnementale et un habitant de la commune d’implantation du projet, le tribunal administratif de Montpellier a annulé l’arrêté préfectoral du 3 février 2015, puis la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté les appels contre ce jugement (CAA Marseille 14 septembre 2018, n° 16MA02625, 16MA02626).

Saisi de trois pourvois, le Conseil d’État juge que la cour a commis une erreur de qualification juridique des faits en estimant que le projet ne répondait pas à une raison impérative d’intérêt public majeur.

 

Le Conseil d’État commence par rappeler que, conformément à sa jurisprudence Société PCE relative au centre commercial Val Tolosa (CE 25 mai 2018, n°413267), il est nécessaire d’adopter un raisonnement en deux temps pour apprécier la légalité d’une dérogation espèces protégées.

Le juge doit, dans un premier temps, vérifier si la réalisation du projet est motivée par la poursuite de raisons impératives d'intérêt public majeur. Suivant sur ce point les conclusions de son rapporteur public, M. Fuchs, le Conseil d’Etat précise que ces raisons doivent être d’une importance telle qu’elles puissent être mises en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage poursuivi par la législation, justifiant ainsi qu’il y soit dérogé.

Le Conseil d’Etat redéfinit toutefois les termes de sa jurisprudence Société PCE dans la mesure où, pour apprécier la raison impérative d’intérêt public majeur, doivent être pris en compte la nature du projet et les « intérêts économiques et sociaux en jeu », alors qu’il ne visait en 2018 que le « projet urbain dans lequel il s'inscrit ».

 

Dans un second temps, s’il a caractérisé l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, le juge doit vérifier (i) qu’il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et (ii) que cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.

Ce raisonnement en deux temps exclut donc de procéder à une confrontation directe entre les intérêts liés au projet et les atteintes portées aux espèces, selon la méthode du bilan ou du contrôle de proportionnalité. Il exige en revanche un seuil minimal quant à l’importance de l’intérêt invoqué par le porteur du projet.

 

Au cas d’espèce, le Conseil d’État estime, contrairement à la cour et aux conclusions de son rapporteur, public que le projet de carrière de Nau Bouques répond à une raison impérative d'intérêt public majeur.  

Il justifie cette position à la fois par les créations d’emplois induites par le projet dans une région particulièrement touchée par le chômage mais surtout par l’inscription de la carrière dans le cadre des politiques économiques de l’Union Européenne visant à l’autosuffisance de secteurs industriels dans leur approvisionnement en matières premières.

Il apparait, à la lumière des conclusions du rapporteur public, que ce dernier point a été déterminant pour conduire le Conseil d’Etat à regarder l’intérêt lié au projet comme suffisamment important. Le projet ne devait en effet aboutir qu’à la création directe de 80 emplois, alors même que la création des 1500 postes dans l’affaire du centre commercial de Val Tolosa n’avait pas suffi à caractériser un intérêt public majeur. La société La Provençale a toutefois convaincu les juges de l’exclusivité, en Europe, d’un gisement de marbre blanc comme celui de la carrière de Nau Bouques et de l’importance de l’exploitation de ce gisement pour répondre à la demande industrielle française et européenne.

La reconnaissance d’une raison impérative d'intérêt public majeure par le Conseil d’Etat n’emporte toutefois pas confirmation de légalité de la dérogation espèces protégées délivrée à la société La Provençale puisqu’il restera à la cour administrative d’appel de Marseille le soin de se prononcer à nouveau sur le dossier et de procéder au second temps du contrôle en prenant en compte les atteintes portées par le projet en cause aux espèces protégées.

 

Lien de la décision : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000041958777&fastReqId=277112877&fastPos=1

 

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