Archives 2010-2021

La justice administrative pendant la crise d’urgence sanitaire liée au Covid-19

Dans l’objectif de lutter contre la propagation du covid-19 en limitant les contacts entre les justiciables et les personnels judiciaires, tout en assurant la continuité du service public de la justice, le gouvernement a notamment adopté en conseil des ministres l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif prise en application de l’article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (ci-après « la Loi »).

Cette ordonnance est applicable rétroactivement à partir du 12 mars et jusqu’à la fin de l’état d’urgence, actuellement fixée au 24 mai 2020.

 

La composition des formations de jugement

  •  L’Ordonnance institue un mécanisme que l’on pourrait appeler de « réserve judiciaire », par analogie avec la réserve sanitaire, l’objectif étant de de permettre à des magistrats issus d'autres juridictions administratives ou à des magistrats honoraires de venir compléter des formations de jugement.

 

L’instruction des dossiers

  • La communication des pièces, actes et avis aux parties pourra être effectuée par tout moyen. En pratique, les justiciables qui ne sont pas représentés par des avocats devraient recourir à la plateforme Télérecours citoyen, déployée sur l’ensemble du territoire national depuis le 30 novembre 2018.
  • Les clôtures d'instruction qui devaient intervenir entre le 12 mars 2020 et le 24 mai 2020 sont prorogées de plein droit jusqu'au 24 juin 2020, sauf report fixé à une autre date par le juge administratif.
  • Le point de départ des délais impartis au juge pour statuer est reporté (pour l’instant) au 1er juillet 2020, sauf en matière de droit des étrangers et de droit électoral.

L’on rappellera d’abord que, de manière générale, peu de dispositions imposent un délai au juge administratif pour statuer. De tels délais existent surtout en matière de référés ainsi qu’en urbanisme. Compte tenu du caractère général de cette disposition, elle devrait donc être applicable aux référés, ce qui conduirait à n’instruire aucune procédure de référé (notamment suspension et liberté) jusqu’au 1er juillet prochain. Cela est surprenant et quelque peu contradictoire avec l’objet même de cette ordonnance qui est de permettre une continuité du service public de la justice (comme cela ressort, par exemple, de la possibilité de maintenir des audiences : cf. ci-dessous). L’on ne peut que souhaiter que l’urgence dans laquelle cette ordonnance ait été rédigée soit la cause de cette disposition et que le gouvernement vienne rapidement la modifier.

 

Les audiences

Les audiences peuvent toujours avoir lieu pendant la période de l’état d’urgence, mais leur organisation peut être profondément modifiée :

  • Elles peuvent se tenir à huis clos ou avec un public limité, et sans lecture des conclusions du rapporteur public si celui-ci le demande. Espérons que le rapporteur public prendra alors soin de mettre en ligne ses conclusions sur telerecours en même temps qu’il met en ligne le sens de ses conclusions, à tout le moins qu’il en fasse un résumé, et ce de manière à garantir le droit à un procès équitable et au principe du contradictoire (cf. CEDH, 7 juin 2001, Kress).
  • Elles peuvent être organisées grâce aux moyens de communication audiovisuelle (qui sont déjà admis sous certaines conditions dans les tribunaux administratifs d’outre-mer :art. L. 781-1 et R. 781-1 du code de justice administrative)  ou, en cas d'impossibilité, à tout autre moyen de communication électronique, y compris téléphonique, sous réserve que ces moyens permettent de s'assurer de l’identité des parties et qu’ils ne portent pas atteinte aux droits de la défense et au principe du contradictoire.

En matière de référés (y compris référé liberté et sursis à exécution), le juge peut décider de ne pas tenir d’audience, sous réserve d’en informer les parties et de leur indiquer la date de clôture d’instruction.

 

La publicité des jugements

  • Les jugements peuvent ne plus être lus en audience publique, mais mis à disposition au greffe uniquement.
  • La notification de la décision peut être directement adressée aux avocats des parties (quand elles en ont un bien entendu) et faire courir les délais des voies de recours possibles contre cette décision.

 

La prorogation des délais de recours et des voies de recours

L’article 15 de l’ordonnance commentée confirme que l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 est applicable aux procédures devant les juridictions administratives sauf en matière (i) de droit électoral, concernant le premier tour des élections municipales, (ii) d’aide juridictionnelle et (iii) de droit des étrangers, des domaines qui ne bénéficient pas d’une prorogation de délai ou bénéficient d’une prorogation plus brève.

En conséquence, les délais de recours ou de voie de recours qui ont expiré à partir du 12 mars 2020 et qui expireront avant la fin de la période d’urgence sanitaire devraient être prolongés au maximum de deux mois à compter de fin de la période d’urgence sanitaire majorée d’un mois visé par l’ordonnance n°2020-306, soit à compter du 24 juin 2020.

Nous utilisons ici le conditionnel (avec « devraient ») dans la mesure où la précipitation dans la rédaction de la présente ordonnance n °2020-305 sur les juridictions administratives a conduit à créer une nouvelle contradiction, pouvant faire naître prochainement de nombreux débats en termes de recevabilité.

En effet, l’ordonnance n°2020-305 vise les délais échus « pendant la période d’urgence sanitaire mentionnée à l’article 2 », cet article 2 étant nécessairement celui de l’ordonnance n°2020-305. Or, cet article 2 fait référence à la période visée à l’article 4 de la loi d’urgence susvisée, à savoir 2 mois à compter de son entrée en vigueur (soit jusqu’au 24 mai 2020). Seuls les délais échus ou à échoir entre les 12 mars et le 24 mai 2020 bénéficieraient donc de cette prolongation maximum de 2 mois.

Toutefois, l’ordonnance n°2020-306 à laquelle renvoie l’ordonnance n°2020-305 a prévu qu’elle était applicable aux délais échus ou à échoir entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

Là encore, nous ne pouvons que souhaiter que le gouvernement corrige l’ordonnance n°2020-305 et supprime l’indication « mentionnée à l’article 2 » de l’article 15 de cette ordonnance afin de mettre fin à la situation contradictoire entre ces deux ordonnances qui visent pourtant des hypothèses identiques et d’éviter prochainement des débats contentieux dont l’on voudra se passer dans un contexte de sortie de crise sanitaire.

Sorry, our English website is under maintenance. It will be available very soon. Thank you.

Dernière actualité

Actualités

Soyez connectés au temps présent grâce à nos actualités, veilles & points de vue. Vous recevez du contenu centré sur vos intérêts. Et parfois un peu de nos coulisses.