Analyse
Dans une décision « GDF Suez » du 13 juillet 2016, le Conseil d’Etat est venu préciser sa jurisprudence.
Dans cette affaire, GDF Suez (devenu Engie) avait demandé à la Commission de Régulation de l’Energie (« CRE ») de retirer une délibération que celle-ci avait prise portant communication dans le domaine de l’énergie. La CRE ayant refusé de retirer sa communication, GDF Suez a demandé au Conseil d’Etat d’annuler la délibération de la CRE refusant le retrait ainsi que la délibération litigieuse.
i. Devant le Conseil d’Etat, la CRE soutenait en substance que la délibération – qui portait communication – n’était pas un acte « faisant grief » et, dès lors, ne pouvait faire l’objet d’un recours contentieux devant le juge administratif.
Le Conseil d’Etat rejette cette argumentation.
Après avoir rappelé les principes qu’il a dégagé dans sa décision « Numéricable », le Conseil d’Etat considère que la délibération attaquée doit, dans les circonstances de l’espèce, être regardée comme faisant grief à GDF Suez et, partant, pouvait faire l’objet d’un recours contentieux.
En effet, en mars dernier, le Conseil d’Etat avait considéré dans la décision « Numéricable » susvisée que :
« les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir [i] lorsqu'ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou [ii] lorsqu'ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que ces actes peuvent également faire l'objet d'un tel recours, introduit par un requérant justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation, [iii] lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou [iv] ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent ; que, dans ce dernier cas, il appartient au juge, saisi de moyens en ce sens, d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité de régulation »
L’arrêt « GDF Suez » constitue donc une illustration de cette décision et confirme que de nombreuses décisions des autorités de régularisation sont susceptibles désormais de faire l’objet de recours contentieux.
ii. Outre l’absence de décision « faisant grief », la CRE soutenait devant le Conseil d’Etat que le recours devait être rejeté dans la mesure où celui-ci était tardif.
La question qui se posait devant le Conseil d’Etat était de savoir si la mise en ligne d’une décision sur le site internet d’une autorité de régulation était susceptible de faire courir, à l’égard d’un tiers, et plus spécifiquement d’un tiers professionnel, le délai de recours de deux mois qui court en principe à compter de la « publication » de l’acte ?
Le Conseil d’Etat confirme le raisonnement tenu par le CRE.
Il considère en effet que « [e]n l’absence de dispositions législatives ou règlementaires prévoyant un autre mode de publication, la mise en ligne d’un acte de la nature de celui que conteste la société GDF Suez sur le site internet de l’autorité de régulation qui l’édicte, dans l’espace consacré à la publication des actes de l’autorité, fait courir, à l’égard des professionnels du secteur dont elle assure la régulation [nous soulignons], le délai de recours [de deux mois à l’égard des actes réglementaire] ».
Assez logiquement, le Conseil d’Etat précise que, passé ce délai de deux mois, un justiciable peut toujours demander l’abrogation de l’acte à l’autorité qui l’a adopté et, le cas échéant, contester devant le juge administratif le refus d’abrogation qui lui est opposé.
Cet apport de la décision « GDF Suez » est très important pour la sécurité juridique des décisions réglementaires prises par les régulateurs. Toutefois, elle conduit à s’interroger sur la portée que le Conseil d’Etat entend lui donner.
En effet, si la Haute Juridiction admet que, en dehors des cas où les modalités de sa publication sont prévues par des dispositions spécifiques, la mise en ligne sur le site internet d’une autorité de régulation d’une décision fait courir le délai de recours à l’encontre de celle-ci, elle limite cette règle aux seuls « professionnels du secteur dont elle assure la régulation ».
Il nous semble que la rédaction retenue n’est pas sans conséquence.
Implicitement, le Conseil d’Etat admet que, s’agissant des « non-professionnels du secteur régulé » – catégorie qu’il conviendra de définir mais qui pourrait être composée, sous réserve de leur intérêt à agir, des personnes physiques ou morales non professionnelles ou professionnelles d’un secteur différent de celui régulé – la mise en ligne d’une décision sur le site internet d’une autorité de régulation n’a pas pour effet de faire courir, à leur égard, de délai de recours ou, du moins, un délai de recours dont l’origine est différente.
Ce faisant, il pourrait être considéré qu’une association (par exemple, une association de consommateurs) – qui pourrait être qualifiée à notre sens de non professionnel du secteur régulé en cause – puisse contester une telle décision au-delà du délai de recours deux mois.
Ce régime distinct n’est à notre sens pas réellement opportun dans la mesure où, d’une part, il conduira à créer potentiellement un doute sur la recevabilité du recours introduit par certains requérants et où, d’autre part, l’irrecevabilité tirée de la tardiveté de l’introduction du recours en annulation peut être facilement contournée par une demande d’abrogation dont, certes, les effets sont différents (cf. infra).
Par ailleurs, autre difficulté qui résulte de l’arrêt, le Conseil d’Etat considère que la date de mise en ligne doit être établie par l’autorité de régulation. Cette date de mise en ligne peut néanmoins être contestée par le requérant.
Il nous semble qu’il appartiendra à l’autorité de régulation d’établir que la date de la mise en ligne était effectivement indiquée en marge de la décision afin que les justiciables auxquels le délai de recours de deux mois est opposable puissent calculer ce délai. En l’absence d’une telle démonstration, le délai de recours ne devrait pouvoir être opposé au requérant non informé.
Appliquant ces règles au cas d’espèce, le Conseil d’Etat observe que la délibération a été mise en ligne le 2 août 2012 – ce qui n’est pas contesté par le requérant – et que les conclusions d’annulation dirigées contre la délibération, présentées après le délai de deux mois, sont donc tardives et doivent être rejetées.
Toutefois, le Conseil d’Etat estime que la demande de « retrait » de la délibération formée par GDF Suez le 7 octobre 2014 devait, en réalité, « être regardée comme tendant à l’abrogation [de ladite délibération] ».
Par cette lecture bienveillante du recours préalable introduit par GDF Suez, la Haute Juridiction considère que seules sont recevables les conclusions de la requérante tendant à l’annulation de la délibération par laquelle la CRE a rejeté la demande d’abrogation de sa délibération.
Finalement, en annulant au fond la délibération refusant d’abroger la délibération portant communication, la décision du Conseil d’Etat conduit à ce que la CRE abroge elle-même sa communication illégale, étant précisé que cette abrogation ne vaudra que pour l’avenir, contrairement – en principe – à l’annulation contentieuse.